Plinio Corrêa de Oliveira

 

Noblesse et élites traditionnelles analogues dans les allocutions de Pie XII au Patriciat et à la Noblesse romaine

© pour cette 2ème édition française: Société Française pour la Défense de la Tradition, Famille et Propriété (TFP) 12, Avenue de Lowendal - PARIS VII

Septembre, 1995


Pour faciliter la lecture, les références aux allocutions pontificales ont été simplifiées: est désigné d'abord le sigle correspondant (voir ci-dessous), puis l'année où l'allocution a été prononcée.

PNR = Allocution au Patriciat et à la Noblesse romaine

GNP = Allocution à la Garde noble pontificale

Certains extraits des documents cités ont été soulignés en caractères gras par l'auteur.

Titre original: Nobreza e elites tradicionais análogas nas Alocuções de Pio XII ao Patriciado e à Nobreza Romana (Editora Civilização, Lisboa, 1993).

Traduit du portugais par Catherine Goyard

1ère édition française: Editions Albatros, 1993.

Cet ouvrage a aussi été publié en italien (Marzorati Editore, Milan), en espagnol (Editorial Fernando III, Madrid) et en anglais (Hamilton Press, Lanham MD, USA).


DOCUMENT V

 

Doctrine de l'Eglise

sur les inégalités sociales

 

Les textes pontificaux présentés ici attestent que, d'après l'enseignement de l'Eglise, la société chrétienne doit être constituée de classes aux inégalités proportionnées qui trouvent à la fois leur propre bien et le bien commun dans une collaboration harmonieuse.

Mais en aucun cas, ces inégalités ne doivent léser les droits appartenant à l'homme du simple fait qu'il est homme. Car selon le très sage dessein du Créateur, la nature humaine, qui est la même pour tous les hommes, les rend ipso facto tous égaux en ce qui concerne ces droits.

1. L'inégalité de droits et de pouvoir émane de l'Auteur même de la nature

Léon XIII dans l'encyclique Quod apostolici muneris (28-12-1878) enseigne:

«En effet, bien que les socialistes, abusant de l'Evangile lui-même pour tromper plus facilement les gens malavisés, aient accoutumé de le torturer pour le conformer à leurs doctrines, la vérité est qu'il y a une telle différence entre leurs dogmes pervers et la très pure doctrine de Jésus-Christ, qu'il ne saurait y en avoir de plus grande. "Car qu'y a-t-il de commun entre la justice et l'iniquité? Quelle union peut-il y avoir entre la lumière et les ténèbres?" (II, Cor. 6, 14). Les socialistes ne cessent, comme nous le savons, de proclamer que tous les hommes sont, par nature, égaux entre eux, et à cause de cela ils prétendent qu'on ne doit au pouvoir souverain ni honneur, ni respect, ni obéissance aux lois, sauf à celles qu'ils auraient sanctionnées d' après leur bon vouloir.

«Au contraire, d'après les documents évangéliques, l'égalité des hommes consiste dans le fait que tous ayant la même nature, tous sont appelés à la même très haute dignité de fils de Dieu, et qu'ayant tous une seule et même fin, nous serons tous jugés selon la même loi et recevrons le châtiment ou la récompense suivant notre mérite. Cependant, il y a une inégalité de droits et de pouvoir qui émane de l'Auteur même de la nature, en vertu de qui "toute paternité prend son nom au ciel et sur la terre" (Ephes.,III, 15) (1).»

(1) Acta Sanctae Sedis, Typis Polyglottae Officinae, Romae, 1878, vol. XI, p. 372.

2. L'univers, l'Eglise et la société civile reflètent l'amour de Dieu dans une inégalité organique

Dans la même encyclique, le Pontife affirme:

«Car Celui qui a créé et qui gouverne toutes les choses les a disposées, dans sa prévoyante sagesse, de manière à ce que les inférieures aidées par les moyennes et celles-ci par les supérieures, toutes atteignent leur fin. De même donc qu'Il a voulu que, dans le royaume céleste, les choeurs des anges fussent distincts et subordonnés les uns aux autres, de même Il a établi dans l'Eglise des différents degrés dans les ordres et une diversité des fonctions, en sorte que tous ne fussent pas apôtres, "ni tous docteurs, ni tous pasteurs" (I Cor.12,28); ainsi a-t-il constitué dans la société civile plusieurs ordres différents en dignité, en droits et en pouvoir, afin que 1 'Etat, comme l'Eglise, formât un seul corps composé d'un grand nombre de membres, les uns plus nobles que les autres mais tous nécessaires les uns aux autres et soucieux du bien commun (2).»

(2) Acta Sanctae Sedis, Typis Polyglottae Officinae, Romae, 1878, vol. XI, p. 372.

3. Les socialistes déclarent que le droit de propriété est une invention humaine répugnant à l'égalité naturelle entre les hommes

Et un peu plus loin, il déclare:

«Quant à la tranquillité publique et domestique, la sagesse catholique, appuyée sur les préceptes de la loi divine et naturelle, y pourvoit très prudemment par ses doctrines et enseignements sur le droit de propriété et sur le partage des biens acquis pour les nécessités et utilités de la vie. Car, tandis que les socialistes présentent le droit de propriété comme une invention humaine répugnant à l'égalité naturelle entre les hommes, tandis que, réclamant la communauté des biens, ils proclament qu'on ne saurait supporter patiemment la pauvreté et qu'on peut impunément violer les possessions et les droits des riches, l'Eglise reconnaît beaucoup plus utilement et sagement que l'inégalité existe entre les hommes, naturellement dissemblables par les forces du corps et de l'esprit, et que cette inégalité existe même dans la possession des biens; elle ordonne, en outre, que le droit de propriété et de domaine, provenant de la nature même, soit maintenu intact et inviolable dans les mains de qui le possède (3).»

(3) Ibidem, p. 374.

4. Rien ne répugne tant à la raison qu'une égalité mathématique entre les hommes

Dans l'encyclique Humanum genus (20-41884), Léon XIII dit encore:

«Si l'on considère que tous les hommes sont de même race et de même nature et qu'ils doivent tous atteindre la même fin dernière, et si l'on regarde les devoirs et les droits qui découlent de cette communauté d'origine et de destinée, on ne peut douter qu'ils ne soient tous égaux. Mais comme ils n'ont pas tous les mêmes ressources d'intelligence et qu'ils diffèrent les uns des autres, soit par les facultés de l'esprit, soit par les énergies physiques, comme enfin il existe entre eux mille distinctions de moeurs, de goûts, de caractères, rien ne répugne tant à la raison que de prétendre les ramener tous à la même mesure et introduire dans les institutions de la vie civile une égalité rigoureuse et mathématique (4).»

(4) Acta Sanctae Sedis, Ex Typographia Polyglotta, Romae, 1906, vol. XVI, p. 427.

5. Les inégalités sont la condition d'une société organique

Le Pape Léon XIII poursuit:

«De même que la parfaite constitution du corps humain résulte de l'union et de l'assemblage des membres qui n'ont ni les mêmes forces ni les mêmes fonctions, mais dont l'heureuse association et le concours harmonieux donnent à tout l'organisme sa beauté plastique, sa force et son aptitude à rendre les services nécessaires, de même, au sein de la société humaine, se trouve une variété presque infinie de parties dissemblables. Si elles étaient toutes égales entre elles et libres d'agir à leur guise, chacune pour son compte, rien ne serait plus difforme qu'une telle société. Si, au contraire, par une sage hiérarchie des mérites, des goûts, des aptitudes, chacune d'elles concourt au bien général, vous voyez se dresser devant vous l'image d'une société bien ordonnée et conforme à la nature (5).»

(5) Ibidem.

6. L'inégalité sociale profite à tous

Dans l'encyclique Rerum novarum (15-51891), Léon XIII revient sur l'inégalité sociale:

«Le premier principe à mettre en avant, c'est que l'homme doit prendre en patience sa condition; il est impossible que, dans la société civile, tout le monde soit élevé au même niveau. C'est là ce que poursuivent bien sûr les socialistes; mais contre la nature, tous les efforts sont vains. C'est elle, en effet, qui a disposé parmi les hommes des différences aussi multiples que profondes: différences d'intelligence, de talent, d'habileté, de santé, de force; différences nécessaires, d'où naît spontanément l'inégalité des conditions. Cette inégalité, d'ailleurs, tourne au profit de tous, de la société comme des individus: car la vie sociale requiert un organisme très varié et des fonctions fort diverses; et ce qui porte précisément les hommes à se partager ces fonctions, c'est surtout la différence de leurs conditions respectives (6).»

(6) Acta Sanctae Sedis, Ex Typographia Polyglotta, Romae, 1890-91, vol. XXIII, p. 648.

7. Les classes sociales doivent s'intégrer dans la société de la même façon que les divers membres du corps humain s'ajustent entre eux

Un peu plus loin, le Pontife déclare:

«L'erreur capitale dans la question présente, c'est de croire que les deux classes sont ennemies-nées l'une de l'autre comme si la nature avait armé les riches et les pauvres pour qu'ils se combattent mutuellement dans un duel obstiné. C'est là une affirmation tellement déraisonnable et fausse que la vérité se situe à l'opposé.

«Car de même que dans le corps humain les différents membres s'ajustent entre eux et déterminent ces relations harmonieuses appelées symétrie, de même la nature exige que dans la société les classes s'intègrent les unes aux autres et que, de leur collaboration mutuelle, naisse un juste équilibre. Elles ont un impérieux besoin l'une de l'autre: il ne peut y avoir de capital sans travail, ni de travail sans capital. La concorde engendre l'ordre et la beauté alors que d'un conflit perpétuel ne peut résulter que la confusion de luttes sauvages (7).»

(7) Acta Sanctae Sedis, Ex Typographia Polyglotta, Romae, 1890-91, vol. XXIII, p. 648-649.

8. L'Eglise aime toutes les classes ainsi qu'une inégalité harmonieuse entre elles

Dans son allocution au Patriciat et à la Noblesse romaine (24-1-1903), ce même Pape enseigne:

«Les Pontifes romains ont toujours eu un égal attachement à protéger et à améliorer le sort des humbles, ainsi qu'à protéger et élever les conditions des classes supérieures. Ils sont en effet les continuateurs de la mission de Jésus-Christ, non seulement dans l'ordre religieux, mais aussi dans l'ordre social. [...]

«C'est pourquoi l'Eglise, en prêchant aux hommes qu'ils sont tous fils du même Père céleste, reconnaît comme une condition providentielle de la société humaine la distinction des classes; pour cette raison, Elle inculque que c'est seulement dans le respect réciproque des droits et des devoirs et dans la charité mutuelle que repose le secret du juste équilibre, du bien-être honnête, de la paix véritable et de la prospérité des peuples.

«Nous aussi, déplorant les agitations actuelles qui perturbent la vie sociale, Nous avons plus d'une fois tourné Notre regard vers les classes les plus humbles, qui sont plus perfidement assaillies par les sectes perverses, et Nous leur avons offert les soins maternels de l'Eglise. Plus d'une fois, Nous avons déclaré que le remède à ces maux ne sera jamais l'égalité qui subvertit les ordres sociaux, mais cette fraternité qui, sans nuire en rien à la dignité de la position sociale, unit les coeurs de tous dans les mêmes liens de l'amour chrétien (8).»

(8) Leonis XIII Pontificis Maximi Acta, Ex Typographia Vaticana, Romae, 1903, vol. XXII, p. 368.

9. La société doit posséder princes et sujets, patrons et prolétaires, riches et pauvres, savants et ignorants, nobles et plébéiens

Dans le Motu proprio Fin dalla prima (18-121903), saint Pie X résume ainsi la doctrine de Léon XIII sur les inégalités sociales:

«I. La société humaine, telle que Dieu l'a établie, est composée d'éléments inégaux, de même que sont inégaux les membres du corps humain; les rendre tous égaux est impossible et serait la destruction de la société elle-même (Enc. Quod apostolici muneris).

«II. L'égalité des divers membres de la société réside uniquement dans le fait que tous les hommes tirent leur origine de Dieu leur Créateur, qu'ils ont été rachetés par Jésus-Christ, et qu'ils doivent, d'après la mesure exacte de leurs mérites, être jugés et récompensés ou punis par Dieu (Enc. Quod apostolici muneris).

«III. En conséquence, il est conforme à l'ordre établi par Dieu qu'il y ait dans la société des princes et des sujets, des patrons et des prolétaires, des riches et des pauvres, des savants et des ignorants, des nobles et des plébéiens qui, tous unis par un lien d'amour, doivent s'aider réciproquement à atteindre leur fin dernière dans le ciel et, sur la terre, leur bien-être moral et matériel (Enc. Quod apostolici muneris) (9).»

(9) Acta Sanctae Sedis, Ex Typographia Polyglotta, Romae, 1903-1904, vol. XXXVI, p. 341.

10. Certaines démocraties poussent la perversité jusqu'à attribuer, dans la société, la souveraineté au peuple et à poursuivre la suppression et le nivellement des classes

De la Lettre apostolique Notre charge apostolique, de saint Pie X (25-8-1910):

«Le Sillon, emporté par un amour mal entendu des faibles, a glissé dans l'erreur.

«Le Sillon se propose en effet le relèvement et la régénération des classes ouvrières. Or sur cette matière, les principes de la doctrine catholique sont fixés, et l'histoire de la civilisation chrétienne est là pour en attester la bienfaisante fécondité. Notre prédécesseur, d'heureuse mémoire, les a rappelés dans des pages magistrales, que les catholiques s'occupant de questions sociales doivent étudier et toujours garder sous les yeux. Il a enseigné notamment que la démocratie chrétienne doit "maintenir la diversité des classes qui est assurément le propre de la cité bien constituée, et vouloir, pour la société humaine, la forme et le caractère que Dieu, son auteur, lui a imprimés". Il a flétri "une certaine démocratie qui pousse la perversité jusqu'à attribuer, dans la société, la souveraineté au peuple et à poursuivre la suppression et le nivellement des classes" (10).»

(10) Acta Apostolicae Sedis, vol. II, n° 16, 31-8-1910, p. 611.

11. Jésus-Christ n'a enseigné ni une égalité chimérique ni le rejet de l'autorité

Toujours dans la même Lettre apostolique, saint Pie X déclare:

«Si Jésus a été bon pour les égarés et les pécheurs, il n'a pas respecté leurs convictions erronées, quelque sincères qu'elles parussent; il les a tous aimés pour les instruire, les convertir et les sauver. S'il a appelé à Lui, pour les soulager, ceux qui peinent et qui souffrent, ce n'était pas pour leur prêcher le désir d'une égalité chimérique. S'il a relevé les humbles, ce n'était pas pour leur inspirer le sentiment d'une dignité indépendante et rebelle à l'obéissance» (11).

(11) Ibidem.

12. Bien qu'égaux en nature, les hommes ne doivent pas occuper la même situation dans la vie sociale

Dans l'encyclique Ad Beatissimi (1-11-1914), Benoît XV affirme:

«En face de ceux qui possèdent des richesses dues à leur patrimoine ou à leur travail, se dressent les prolétaires et les ouvriers brûlant de haine parce que, participant à une même nature, ils ne jouissent cependant pas de la même situation. Une fois, en effet, qu'ils ont été séduits par les tromperies des meneurs, dont ils adoptent d'ordinaire les moindres suggestions, comment leur faire comprendre que ce n'est pas parce qu'ils sont égaux par nature qu'ils doivent avoir la même situation dans la vie sociale, mais qu'à moins de circonstances défavorables, chacun occupera la place qu'il s'est procurée par sa conduite? Ainsi, quand les pauvres attaquent les riches comme si ces derniers s'étaient emparés du bien d'autrui, ils agissent non seulement contre la justice et la charité, mais aussi contre la raison, attendu qu'ils pourraient, s'ils le voulaient, améliorer par un travail honnête et persévérant leur propre condition. Il est superflu de rappeler à quelles conséquences, désastreuses pour les individus comme pour la société, mène cette haine de classes (12).»

(12) Acta Apostolicae Sedis, vol. VI, n° 18, 18-11-1914, p. 571- 572.

13. Le traitement fraternel entre supérieurs et inférieurs ne doit pas faire disparaître la variété de conditions et la diversité des classes sociales

Benoît XV poursuit:

«Cet amour fraternel n'aura pas pour effet de faire disparaître la variété des conditions, ni par conséquent la diversité des classes sociales, pas plus que dans un corps vivant il n'est possible à tous les membres d'avoir la même fonction ni la même dignité. Cette affection mutuelle fera toutefois que les plus élevés s'abaisseront en quelque sorte vers les plus humbles, et les traiteront non seulement selon la justice, comme cela doit être, mais encore avec bienveillance, douceur et patience; les humbles, de leur côté, se complairont dans la prospérité des personnes plus élevées et en attendront l'appui avec confiance; tout comme, dans une même famille, les plus jeunes se reposent sur la protection et l'assistance des aînés (13).»

(13) Ibidem, p. 572.

14. Respecter la hiérarchie sociale pour le plus grand avantage des individus et de la société

Benoît XV dans sa Lettre Soliti Nos (11-3-1920) adressée à Mgr Marelli, évêque de Bergame, déclare:

«Ceux qui occupent des situations inférieures quant au rang et à la fortune doivent bien se convaincre que la diversité de classes sociales vient de la nature même, et c'est donc de la volonté divine que l'on doit répéter "qu'Elle a créé les grands et les petits" (Sag. 6, 8), pour le plus grand avantage des individus et de la société. Ces humbles doivent se pénétrer de cette vérité: quelque amélioration qu'ils apportent à leur situation tant par leurs efforts personnels qu'avec le concours des gens de bien, il leur restera toujours, comme aux autres hommes, un lourd héritage de souffrances. S'ils ont cette exacte vision de la réalité, ils ne s'épuiseront point en inutiles efforts pour s'élever à un niveau supérieur à leurs capacités, et ils supporteront les maux inévitables avec la résignation et le courage que donne l'espérance de biens éternels (14).»

(14) Acta Apostolicae Sedis, vol. XII, n2 4, 1-4-1920, p. 111.

15. On ne doit pas exciter l'animosité contre les riches en incitant les masses à l'inversion de l'ordre de la société

Dans une lettre du 5 juin 1929 adressée à Mgr Achille Liénart, évêque de Lille, la Sacrée Congrégation du Concile rappelle des principes de la doctrine sociale catholique et des directives pratiques d'ordre moral émanées de la suprême autorité ecclésiastique:

«"Ceux qui se glorifient du titre de chrétiens, qu'ils soient pris isolément ou groupés en associations, ne doivent pas, s'ils ont conscience de leurs obligations, entretenir entre les classe sociales des inimitiés et des rivalités, mais la paix et la charité mutuelle" (Pie X, Singulari quadam, 24-9-1912).

«"Que les écrivains catholiques, en prenant la défense de la cause des prolétaires et des pauvres, se gardent d'employer un langage qui puisse inspirer au peuple de l'aversion pour les classes supérieures de la société. [...] Qu'ils se souviennent que Jésus-Christ a voulu unir tous les hommes par le lien d'un amour réciproque, qui est la perfection de la justice et qui entraîne l'obligation de travailler mutuellement au bien les uns des autres" (Instruction de la S. C. des Affaires ecclésiastiques extraordinaires, 27 -1-1902).

«"Ceux qui président à ce genre d'institutions (ayant pour but de promouvoir le bien des ouvriers) doivent se souvenir [...] que rien n'est plus propre à assurer le bien général que la concorde et la bonne harmonie entre toutes les classes, et que la charité chrétienne en est le meilleur trait d'union. Ceux-là travailleraient donc fort mal au bien de l'ouvrier qui, prétendant améliorer ses conditions d'existence, ne l'aideraient que pour la conquête de biens éphémères et fragiles d'ici-bas, négligeraient de disposer les esprits à la modération par le rappel des devoirs chrétiens, bien plus, iraient jusqu'à exciter encore davantage l'animosité contre les riches, en se livrant à ces déclarations amères et violentes par lesquelles des hommes étrangers à nos croyances ont coutume de pousser les masses au bouleversement de la société" (Benoît XV à l'évêque de Bergame, 11-3- 1920) (15).»

(15) Acta Apostolicae Sedis, vol. XXI, n° 10, 3-8-1929, p. 497-498.

16. L'inégalité de droits est légitime

Pie XI, dans l'encyclique Divini Redemptoris (19-3-1937), affirme:

«Nous devons avertir que se trompent honteusement ceux qui ont la légèreté d'opiner que dans la société civile les droits de tous les citoyens sont égaux et qu'il n'existe pas de hiérarchie sociale légitime (16).»

(16) Acta Apostolicae Sedis, vol. XXIX, n2 4, 31-3-1937, p. 81.

17. Les ressemblances et différences entre les hommes trouvent leur place appropriée dans l'ordre absolu de l'être

De Pie XII, message radiodiffusé de Noël 1942:

«Si la vie sociale comporte l'unité interne, elle n'exclut pas pour autant les différences demandées par la réalité et par la nature. Mais pourvu qu'on s'attache avec fermeté au suprême Législateur, Dieu, pour tout ce qui regarde l'homme, les ressemblances aussi bien que les différences entre les hommes trouvent leur place appropriée dans l'ordre absolu de l'être, des valeurs, et aussi par conséquent, de la moralité. Que soit ébranlé ce fondement, aussitôt s'ouvre au contraire un dangereux fossé entre les divers domaines de la culture et se manifestent une incertitude et une fragilité des contours, des limites et des valeurs (17).»

(17) Discorsi e Radiomessaggi di Sua Santità Pio XII, Tipografia Poliglotta Vaticana, vol. IV, p. 331.

18. Les rapports humains produisent toujours et nécessairement une échelle de gradations et de différences

De l'allocution de Pie XII aux ouvriers de Fiat (31-10-1948):

«L'Eglise ne promet pas l'égalité absolue que d'autres proclament, parce qu'elle sait que les rapports humains produisent toujours et nécessairement une échelle de gradations et de différences dans les qualités physiques et intellectuelles, dans les dispositions et tendances internes, dans les occupations et responsabilités. Mais elle assure en même temps la pleine égalité dans la dignité, tout comme dans le coeur de Celui qui appelle à lui tous les hommes fatigués et éprouvés (18).»

(18) Discorsi e Radiomessaggi di Sua Santità Pio XII, Tipografia Poliglotta Vaticana, vol. X, p. 266.

19. Etablir l'égalité absolue serait détruire l'organisme social

Pie XII dans un discours à un groupe de fidèles de la paroisse italienne de Marsciano, Pérouse (46-1953) déclare:

«Il faut que vous vous sentiez véritablement frères. Il ne s'agit pas d'une simple allégorie: vous êtes vraiment enfants de Dieu et par conséquent vraiment frères.

«Et bien, les frères ne naissent ni ne restent tous égaux: les uns sont forts, les autres faibles; les uns intelligents, les autres incapables; il se peut que l'un soit anormal, et il peut arriver aussi qu'un autre devienne indigne. Il existe donc inévitablement une certaine inégalité matérielle, intellectuelle, morale, dans une même famille. [...]

«Prétendre à l'égalité absolue de tous serait la même chose que prétendre donner des fonctions identiques à des membres différents du même organisme (19).»

(19) Discorsi e Radiomessaggi di Sua Santità Pio XII, Tipografia Poliglotta Vaticana, vol. XV, p. 195.

20. Celui qui ose nier la diversité des classes sociales contredit l'ordre même de la nature

Jean XXIII enseigne dans l'encyclique Ad Petri cathedram (29-6-1959):

«Il est nécessaire d'établir toujours plus entre les classes sociales la concorde que l'on recherche entre les peuples. Si cela n'arrive pas, il peut en résulter des haines et des dissensions, comme nous k voyons déjà; de là, naîtront des troubles, des révolutions et parfois des massacres, la diminution progressive de la richesse et les crises qui affectent l'économie publique et privée. I...]

«Celui qui ose donc nier la diversité des classes sociales contredit l'ordre même de la nature. Ceux qui s'opposent à cette collaboration amicale et nécessaire entre les classes cherchent aussi sans aucun doute à troubler et à diviser la société, au plus grand dam du bien public et privé. 1..1 Il est vrai que chaque classe, chaque catégorie de citoyens peut défendre ses propres droits, pourvu qu'elle le fasse dans la légalité et sans violence, dans le respect des droits d'autrui, tout aussi inviolables que les siens. Tous sont frères; il faut donc que toutes les questions se résolvent amicalement, dans une charité fraternelle et mutuelle (20).»

(20) Acta Apostolici Sedis, vol. LI, n° 10, 22-7-1959, p. 505- 506.

21. Une société sans classes: dangereuse utopie

Jean Paul II déclarait dans l'homélie prononcée au cours de la messe pour les jeunes étudiants de Belo Horizonte, Brésil (1-7-1980):

«J'ai perçu qu'un jeune chrétien cesse d'être jeune et n'est plus chrétien depuis longtemps quand il se laisse séduire par des doctrines ou des idéologies qui prônent la haine ou la violence. [...]

«J'ai appris qu'un jeune commence dangereusement à vieillir lorsqu'il se laisse tromper par le principe, facile et commode, que "la fin justifie les moyens", quand il en vient à croire que le seul espoir d'améliorer la société consiste à promouvoir la lutte et la haine contre les groupes sociaux, dans l'utopie d'une société sans classes qui se traduit bien vite par la création de nouvelles classes (21).»

(21) Insegnamenti di Giovanni Paolo H, vol. III, 2, Libreria Editrice Vaticana, 1980, p. 8.

22. L'inégalité des créatures est une condition pour que la Création rende gloire à Dieu

Aux textes pontificaux transcrits ci-dessus, il convient d'ajouter quelques arguments du Docteur Angélique pour justifier l'existence de l'inégalité entre les créatures. Celui-ci affirme dans la Somme Théologique:

«Ainsi, dans les choses naturelles, les espèces paraissent avoir été ordonnées par degré. Par exemple, les choses mixtes sont plus parfaites que les éléments qui les composent, les plantes l'emportent sur les minéraux, les animaux sur les plantes, les hommes sur les animaux, et dans chacun de ces ordres de créatures on trouve une espèce qui vaut mieux que d'autres. C'est pourquoi la divine Sagesse ayant été cause de la distinction des êtres, afin que l'univers fût parfait, Elle a voulu pour la même raison qu'il y eût de l'inégalité entre les créatures. Car l'univers ne serait pas parfait s'il n'y avait dans les êtres qu'un seul degré de bonté (22).»

(22) SAINT THOMAS D'AQUIN, Somme Théologique, I, q. 47, a. 2.

Ce ne serait en effet pas en accord avec la perfection de Dieu de créer un seul être. Car aucun être créé, aussi excellent qu'on l'imagine, ne serait en condition de refléter adéquatement, à lui seul, les infinies perfections de Dieu.

Les créatures sont donc nécessairement multiples; non seulement multiples, mais aussi nécessairement inégales. Tel est l'enseignement du saint Docteur:

«On doit préférer plusieurs biens finis à un seul, pour cette raison qu'ils ont plus d'étendue. Or, la bonté de toute créature est finie car elle reste au-dessous de l'infinie bonté de Dieu. Donc, l'universalité des créatures est plus parfaite, si elles sont partagées en divers degrés, que si elles étaient toutes comprises en un seul. Or, il appartient au souverain Bien de faire ce qui est meilleur. Donc il était convenable qu'il établît plusieurs degrés parmi les créatures.

«La bonté de l'espèce l'emporte sur le bien de l'individu, de même que le formel l'emporte sur le matériel. Donc, la multitude des espèces augmente davantage la bonté de l'univers que la multitude des individus renfermés sous une seule espèce. Donc, la perfection de l'univers demande, non seulement qu'il existe un grand nombre d'individus, mais encore qu'il y ait des espèces et, par conséquent, divers degrés dans les choses (23).»

(23) Somme contre les gentils, livre II, chap. 45.

Les inégalités ne sont donc pas des défauts de la création mais d'excellentes qualités où se reflète la perfection infinie et adorable de son Auteur. Dieu se complaît d'ailleurs à les contempler: «La diversité et l'inégalité qui se rencontrent parmi elles [les créatures] ne viennent, ni du hasard, ni de la diversité de la matière, ni de l'intervention de certaines causes, ni d'aucun mérite, mais de la propre intention de Dieu, qui veut donner à sa créature toute la perfection dont elle est susceptible.

«C'est pourquoi la Genèse, après avoir dit de chacune des oeuvres de Dieu qu'elle est bonne, ajoute: "Dieu vit toutes les choses qu'Il avait faites, et elles étaient très bonnes" (Gen. 1,31) (24).»

(24) Ibidem.

23. La suppression des inégalités est la condition sine qua non pour l'élimination de la religion

Dieu n'a pas voulu limiter ces inégalités aux êtres des règnes inférieurs — minéral, végétal et animal — mais fi les a étendues aussi aux hommes et donc, aux peuples et aux nations.

Il les a créées harmonieuses entre elles, et bienfaisantes pour chaque catégorie d'êtres comme pour chaque être en particulier, car Il a désiré pourvoir l'homme de moyens abondants lui permettant de garder toujours présentes à l'esprit Ses infinies perfections. Les inégalités entre les êtres sont ipso facto une sublime et très vaste école d'anti-athéisme.

C'est ce que paraît avoir compris l'écrivain communiste français Roger Garaudy (plus tard «converti» à l'Islam), quand il souligne l'importance de l'élimination des inégalités sociales pour la victoire de l'athéisme dans le monde: «En effet, il n'est pas possible, pour un marxiste, de dire que l'élimination des croyances religieuses est une condition sine qua non de l'édification du communisme. Karl Marx montrait au contraire que seule la réalisation complète du communisme, en rendant les rapports sociaux transparents rendrait possible la disparition de la conception religieuse du monde. Pour un marxiste, c'est donc l'édification du communisme qui est la condition sine qua non de l'élimination des racines sociales de la religion, et non l'élimination des croyances religieuses qui est la condition de la construction du communisme (25).»

(25) «L'homme chrétien et l'homme marxiste», Semaines de la pensée marxiste—Confrontations et débats, La Palatine, Paris-Genève, 1964, p. 64.

Vouloir détruire l'ordre hiérarchique de l'univers, c'est donc priver l'homme de possibilités d'exercer librement le plus fondamental de ses droits: celui de connaître, aimer et servir Dieu. Autrement dit, c'est désirer la plus grande des injustices et la plus cruelle des tyrannies.

24. Par nature, les hommes sont tous égaux dans un certain sens, mais inégaux dans un autre

Du livre Réforme Agraire — Question de Conscience (26), un passage rédigé par l'auteur du présent ouvrage:

«Egaux, ils [les hommes] le sont en tant que créatures de Dieu, dotées de corps et d'âme, et rachetées par Jésus-Christ. Par la dignité qui leur est commune à tous, ils ont un droit égal à tout ce qui est propre à la condition humaine: vie, santé, religion, famille, travail, développement intellectuel, etc. Une organisation économique et sociale juste et chrétienne repose ainsi sur un élément fondamental de véritable égalité.

«Mais outre cette égalité essentielle, il y a entre les hommes des inégalités accidentelles mises par Dieu: inégalités de vertu, d'intelligence, de santé, de capacité de travail, et bien d'autres. Toute structure économique et sociale organique et vivante doit être en harmonie avec l'ordre naturel des choses. Cette inégalité naturelle doit donc s'y refléter. Autrement dit, à partir du moment où tous ont au moins ce qui est juste et digne, les mieux dotés par la nature doivent pouvoir, grâce à un travail honnête et à l'épargne, acquérir davantage.

«Dans l'ordonnance d'une société juste et chrétienne, l'égalité et l'inégalité se compensent et se complètent, jouant ainsi des rôles divers mais harmonieux.

«Cette règle constitue, d'ailleurs, un des aspects les plus admirables de l'ordre universel. Toutes les créatures de Dieu ont ce qui leur revient suivant leur propre nature, et en cela sont traitées par Lui selon la même norme. Mais le Seigneur donne très largement aux unes, largement aux autres, et à d'autres enfin, seulement ce qui leur convient. Ces inégalités forment une immense hiérarchie où chaque degré est comme une note de musique, le tout composant une grandiose symphonie qui chante la gloire divine. Une société et une économie totalement égalitaires seraient, par conséquent, anti-naturelles.

«A cette lumière, les inégalités représentent une condition du bon ordre général et rejaillissent donc en avantages sur tout le corps social, c'est-à-dire sur les grands comme sur les petits.

«Cette échelle hiérarchique représente, dans les plans de la Providence, un moyen de promouvoir le progrès spirituel et matériel de l'humanité par l'encouragement des meilleurs et des plus doués. L'égalitarisme amène au contraire l'inertie, la stagnation et donc la décadence, car tout ce qui est vivant et ne progresse pas, se détériore et meurt.

«C'est ainsi que s'explique la parabole des talents (Matth.25, 14-30). Dieu donne à chacun en quantité différente et exige de chacun un fruit proportionnel .»

(26) G.P. SIGAUD, A.C. MAYER, L. MENDONÇA DE FREITAS et P. CORRÊA DE OLIVEIRA, Editora Vera Cruz, São Paulo, 1960.